Comment nos pratiques professionnelles de vulgarisation/ médiation/ journalisme scientifique changent-elles en cette période de confinement pour la pandémie de COVID-19 ? Mon interview par l’École de la médiation de la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris.
Dans un live sur Twitter, organisé par l’Ecole de la médiation, j’ai été interviewée pour raconter quels ont été les changements dans ma façon de travailler et de communiquer auprès du public. Voici la retranscription de mon intervention et, en bas de ce billet, les liens vers le direct sur Twitter et sur Youtube pour qui préfère écouter et voir la vidéo.
Peux-tu te présenter ? Nom, fonction, statut, structure ou toute autre info qui te semble importante
Je m’appelle Annalisa Plaitano, je suis biologiste de formation mais depuis une vingtaine d’années je travaille dans le milieu de la communication scientifique. Je suis médiatrice et journaliste scientifique indépendante. J’enseigne la médiation scientifique aux étudiants de Sorbonne Université et je forme à la vulgarisation scientifique les doctorants et les chercheurs de plusieurs universités.
Selon toi, quel est le rôle de la culture scientifique lors d’une crise comme celle qu’on vit ? Est-ce un rôle plus important qu’en temps normal ?
Je pense que la culture scientifique a au moins deux rôles : le premier c’est de communiquer de façon efficace, non seulement claire et compréhensible mais aussi appropriée. En ce moment, par exemple, nous devons faire encore plus attention que d’habitude. D’un côté la rigueur scientifique pour ceux qui décident de parler du nouveau Coronavirus doit être encore plus forte. D’un autre côté nous devons communiquer avec plus de tact et empathie, en réfléchissant bien sur la manière dont le public peut recevoir notre discours. D’ailleurs il ne faudrait pas s’improviser, mais tenir compte des études sur la communication du risque.
L’autre rôle est celui de divertir, de distraire, de continuer – malgré tout – à proposer de la culture.
Moi j’ai décidé de m’occuper de ce deuxième aspect. Je n’ai pas de compétences particulières en virologie ou épidémiologie et la médecine n’est pas un thème que je traite normalement. Donc j’ai décidé de ne pas parler publiquement de cette pandémie. La vie doit continuer et je trouve qu’il y a besoin de moments culturels, de nourriture pour l’esprit et de détente. J’ai préféré m’occuper de cela.
Qu’est-ce que cela change dans tes pratiques ? Au niveau de ton choix : organisation du travail, support, travail à plusieurs, posture, rythmes, thématique…
À part mon travail de journaliste, qui ne change pas et peut être augmente, toutes les autres missions d’animation scientifique, de conférence ou de formation ont été annulées. J’espère qu’elles seront seulement reportées. Non seulement parce qu’elles me plaisaient, mais aussi parce que c’était mon salaire, il faut aussi considérer cet aspect … Mais on rebondit : je suis déjà en train de me réorganiser ! Par exemple je suis en train d’acquérir des nouvelles compétences, surtout techniques, pour utiliser les logiciels et les applications qui existent pour continuer à faire mon travail depuis mon domicile. Je peux déjà anticiper que je suis en train de monter une formation en ligne.
D’un point de vue des relations professionnelles je ne me sens pas isolée. Avec certains collègues on a déjà pensé a s’organiser pour se lancer ensemble des nouveaux défis. Aussi, certains clients m’ont demandé ma disponibilité pour travailler à distance.
J’ai également un peu modifié ma façon de communiquer sur les réseaux sociaux. J’ai cherché de pas trop exprimer mes peurs et mes angoisses personnelles. Par exemple sur Instagram j’avais publié une vidéo du métro 13 plein à craquer que j’ai malheureusement dû prendre pour me rendre à la dernière conférence que j’ai donnée. Je voulais montrer que nous étions en retard par rapport au confinement que les autres Pays avaient déjà mis en place. Mais j’ai vite réfléchi et décidé d’effacer la vidéo. Je me suis même excusée auprès de ma communauté. J’ai expliqué que je ne voulais pas alourdir une communication déjà assez lourde, et que donc je décidais de poster seulement des choses agréables et des messages d’espoir.
J’ai commencé à parler de choses positives et j’ai invité mes followers à faire pareil. Ils ont apprécié, certains m’ont écrit que ça les avait aidés. Par exemple j’ai utilisé le hashtag #biodiversitéàlamaison créé par un collègue : l’idée est de publier des photos de plantes et d’animaux qu’on trouve à la maison ou qu’on voit depuis chez nous. Certaines personnes on mis en place une véritable activité de birdwatching à la fenêtre !
Raconte une action de vulgarisation liée au période de crise actuel et surtout au confinement que tu as mise en place
Je suis très fière de vous parler d’un projet créé par la communauté de vulgarisateurs scientifiques italiens dont je fais également partie, qui vient de se terminer et qui a eu une très belle réussite.
En partant du fait qu’un vulgarisateur scientifique a du mal à rester sans son public et qu’il fallait faire réseau et rester unis, un groupe de médiateurs italiens a organisé le premier festival de vulgarisation scientifique complètement en ligne. Il y a eu un appel à projet dans l’urgence (seulement quelques jours pour proposer son offre!) et j’ai participé en proposant une série de vidéos sur l’histoire de 5 femmes scientifiques. Il y a eu des centaines de propositions ! Heureusement ma proposition a été acceptée, donc j’ai dû en seulement quelques jours me lancer dans la création vidéo, chose pas facile pour moi ! Je me suis associée à deux collègues qui m’ont aidée avec le montage et les portraits/dessins des scientifiques. Je suis donc sortie de ma zone de confort et j’ai accepté de publier quelque chose loin d’être parfait mais qui pouvait apporter quelque chose d’agréable en ce moment difficile. Je pense que le public a apprécié le contenu et la réactivité et m’a pardonné les imperfections techniques. Je suis ravie de voir que d’autres collègues sont arrivés aux mêmes conclusions, comme par exemple l’équipe de l’Ecole de la médiation qui a créé ce moment d’échange professionnel et Julien Bobroff qui l’a bien expliqué dans un article sur The Conversation.
Le festival italien s’appelait Science Web Festival. Les propositions étaient très variées : il y avait des expériences scientifiques en ligne pour les enfants, des histoires racontées en vidéo (comme dans mon cas), des textes, des dessins, des lives. Il y avait même deux mini- journaux télévisés : un, le matin, qui parlait de biodiversité et changements climatiques, et un autre, le soir, pour faire le point sur la situation Coronavirus de façon non alarmiste. Je n’ai pas encore les données sur la fréquentation mais le compte Instagram du festival a plus de 23 000 followers.
On sait qu’il a été suivi par un certain nombre de personnes qui normalement ne suivent pas les sciences. A titre d’exemple je peux citer le retour de quelques uns de mes amis qui m’ont dit pour la première fois (après des années qu’ils me connaissent): « C’est cool ton travail! ». Et en plus la communauté de vulgarisateurs s’est vraiment soudée et on a créé des nouvelles collaborations.
Voici le lien pour revoir la vidéo de mon interview sur Twitter et sur Youtube
Bonjour ! Je suis @LudmillaScience, médiatrice & journaliste scientifique indépendante, et enseignante #scicomm à @ScienceSorbonne.
En direct avec l’EDM pour parler de la communication scientifique de crise. #LaScienceEstLà #CSTI #vulgarisation #scicomm
https://t.co/FHO6zIw0Rk— L’EDM (@EstimMediation) March 26, 2020