Réponse à la lettre d’une jeune docteure qui veut se lancer dans le métier. Interview multiple de 4 médiateurs scientifiques.
Bonjour Ludmilla,
Je viens de finir mon doctorat en chimie quantique et j’essaie de définir ce qu’il me plairait de faire. La vulgarisation et la médiation scientifique me plaisent beaucoup et j’essaie d’en savoir un peu plus sur ces métiers. Je voulais savoir si vous pouviez me donner quelques informations (comme quelques détails sur le début de votre parcours, sur les difficultés de ce métiers, etc.) et peut-être quelques conseils avant que je ne m’oriente. Je vous remercie par avance de la réponse que vous voudrez bien m’accorder si vous avez un peu de temps. Elise
Chère Elise,
Merci pour ton mail. Tu me donnes l’occasion de parler de mon métier. Il s’agit d’une profession très stimulante que j’aime beaucoup, mais qui est assez neuve et méconnue. Le contexte professionnel n’est pas simple et la carrière n’est pas « linéaire » comme pourrait l’être celle d’ingénieur, infirmier, professeur, plombier etc.
J’ai demandé à quelques collègues de m’aider à te répondre. Voilà ce qui en est sorti, en 10 questions/réponses. J’espère que ça pourra t’aider.
1) Comment es-tu devenu(e) médiateur/trice scientifique ?
S : Après ma thèse, pas envie de continuer dans la recherche. J’ai eu l’occasion de travailler au Palais de la Découverte, puis dans les associations Planète Sciences et Icare.
M : En déménageant à Lyon car je ne trouvais pas de débouchés à Marseille, après mes études. Durant un an, j’ai rencontré beaucoup de personnes à Lyon, dont la responsable de la médiation culturelle du musée des Confluences alors en construction en 2013. Deux ans plus tard, cette personne a conseillé au musée de me contacter pour des visites guidées en LSF à destination des sourds et c’est ainsi que je suis entré au musée en septembre 2015. Il s’agit d’un CDD renouvelable chaque mois et d’un temps de travail partiel et variable selon les mois en fonction de la demande. J’attends de voir comment cela évoluera.
J : Porté sur la communication et la vulgarisation de la recherche archéologique et de la démarche scientifique, j’ai été amené à réaliser différentes actions d’animations. J’ai fait mes premières armes au sein d’ArkéoTopia. Recruté par le centre de ressources Paris Science de la Mairie de Paris pour concevoir et monter une animation scientifique dédiée à l’archéologie, j’y ai fait des constats et j’y ai engrangé des informations qui m’ont permis d’affiner ma formation autant comme médiateur scientifique que comme animateur scientifique.
A : Pendant mes études, je me suis retrouvée un peu par hasard à travailler comme guide naturaliste, après une petite formation. Engagée dans des association environnementales, j’intervenais aussi dans les écoles. J’ai compris que j’étais plus portée sur la communication que sur la recherche. Après ma thèse, j’ai travaillé pour un Muséum d’Histoire Naturelle, qui malheureusement n’avait pas de poste à temps complet. Ensuite j’ai travaillé pour plusieurs associations et finalement pour le service publique.
2) As-tu une formation scientifique universitaire ou autre ?
M : Oui, master en neurosciences à Paris avec le désir initial d’être chercheur, puis année sabbatique, puis master de journalisme et communication à Marseille. Il faut dire que je suis sourd de naissance et c’était la galère pour faire mes études à l’université, il a fallu que je me débrouille et c’était épuisant à la longue.
J : Oui, doctorat en archéologie à l’EPHE (École Pratique des Hautes Études).
A : Oui, un master en zoologie, avec une thèse sur l’écologie et l’évolution des tortues terrestres.
3) As-tu fait ou non une formation dédiée (master en médiation/communication ou similaires) ?
S : Non.
M : J’ai fait un master de journalisme et communication à Marseille.
J : Non, formation par l’expérience. J’ai mis en place une démarche qualité qui m’a permis l’évaluation des points suivants :
- satisfaction des participants à mes animations scientifique
- résultats obtenus avec les enfants (compréhension des notions scientifiques et de la démarche)
- transmission des animations scientifiques conçues à d’autres animateurs
A : Non, j’ai appris avec l’expérience, l’autoformation et j’ai suivi quelques petits cours de formation thématiques (développement de l’enfant, animation, démarche « hands on », robotique etc.).
4) Tu travailles pour… ? (une collectivité territoriale, une association, université etc.)
S : Une collectivité territoriale.
M : Nunatak, société de sous-traitance du musée des Confluences et qui gère les actions face au public (adultes, handicap, enfants, scolaires, associations).
J : En tant qu’archéologue indépendant, je réponds aux demandes et appels d’offre. En matière d’animation scientifique, j’ai travaillé pour des associations (ArkéoTopia et Planète science), des centres de loisirs et un centre de ressources de la Mairie de Paris, des collèges, des musées, des bibliothèques municipales, etc.
A : Une collectivité territoriale.
5) Quels sont les côtés positifs/satisfactions de ce métier ?
6) Quels sont les difficultés de ce métier ?
S : Certains publics peuvent être difficiles. Il faut savoir s’adapter sans cesse.
M : Difficile d’en faire une activité à temps plein, ce sont très souvent des CDD enchaînés et donc peu stables à la longue. Cela varie beaucoup d’une structure à l’autre, il faut savoir s’adapter aux attentes, faire preuve de souplesse, savoir gérer un groupe, etc. Les débouchés sont assez faibles aussi.
J : Elles sont nombreuses en l’état actuel d’un métier qui manque de reconnaissance, ce qui est le revers de la médaille de son potentiel attractif. Tout d’abord, il y a souvent confusion entre animation scientifique et animation de loisirs. Une animation scientifique ne se monte pas en 30 secondes. Elle nécessite de temps, de compétences et d’un matériel bien pensé à l’avance qui peut se révéler coûteux. De plus, le travail est souvent mal payé. Cette activité est encore jeune, ces contraintes devraient s’évanouir avec le temps.
A : Les difficultés propres à la profession (public difficile, concepts ardus à expliquer) ne m’ont jamais fait peur, je les considères comme des défis. Ce qui est lourd est le fait d’avoir des petits contrats, de faire beaucoup de déplacements d’un lieu à un autre avec le matériel, mais surtout le manque de reconnaissance. Il parait qu’il y a une petite option science dans le diplôme d’animation BPJEPS : pour ça peut-être on nous confond avec les animateurs de centre de loisirs. Quand on explique que ce n’est pas pareil, on est considéré un peu gonflé !
7) On gagne bien ?
S : Non mais ça va, c’est un choix de vie. Un boulot qu’on aime, passionnant, pour lequel on est heureux de se lever le matin, ça n’a pas de prix.
M : Au musée des Confluences, le tarif horaire est plus que correct. Ce n’est pas toujours le cas ailleurs.
J : Tout dépend pour qui vous travaillez. Dans mon cas, l’activité a souvent été mal rémunérée par rapport à l’investissement temps. Il m’est même arrivé de refuser un contrat car la structure confondait animation de loisirs et animation scientifique. Mon intérêt pour ce domaine relève avant tout de la liaison que j’ai réalisée entre animation scientifique et science, la première étant la mise en application de la seconde.
A : Non, je ne dirais pas (sauf quelques cas, par exemple à la Cité des Sciences, mais c’est réellement difficile de pouvoir y travailler). En général, ça dépend du manque de reconnaissance : on est parfois payé (et considéré) comme des animateurs de centre de loisirs, même si les compétences demandées sont bien différentes ! Puis souvent on est payé à la vacation (donc pas de congés payés ni maladie). De plus en plus de structures embauchent sous forme de contrats aidés, apprentissage et stages .
8) Est-ce qu’il y a eu une progression dans ta carrière et par quel biais ? (ex d’animateur je suis passé directeur/formateur ou chef de projet, j’ai fait un concours, etc.)
S : Contractuel, j’ai été titularisé sur le grade d’attaché de la fonction publique territoriale sans passer le concours : j’ai bénéficié d’une loi contre la précarité.
M : Je ne sais pas encore pour le moment. C’est la première fois que je suis vraiment médiateur scientifique. Avant, j’étais animateur scientifique pour une association et encore avant animateur de prévention et chargé de communication culturelle.
J : Je ne suis pas concerné par cette question du fait de mon statut d’indépendant.
A : Oui, d’animatrice scientifique je suis devenue médiatrice scientifique : j’écris mes projets, je conçois mes animations, je mets en place d’autres formes de médiation. Après des années de petits contrats, j’ai obtenu un CDI. Pour évoluer encore, par contre, c’est plus difficile : les postes intéressants sont rares et parfois des postes sont supprimés à cause de la diminution des subventions à la culture.
9) Comment envisages-tu ton futur, ton évolution de carrière ?
M : C’est le grand flou !
J : En tant qu’indépendant, j’envisage avant tout un développement de mon activité (recherches, enseignement à domicile, conférences, animations scientifiques, animations culturelles), donc pas forcément seulement en tant que médiateur scientifique.
A : Je voudrais continuer à faire ce que je fais, mais dans des meilleures conditions. Je voudrais développer des modalités de médiation autres que l’animation. À présent, il n’y a pas une fiche métier précise (du moins où je travaille) et sur le papier je ne suis pas médiatrice scientifique. S’il y avait un concours de la fonction publique, je le tenterais. Sinon il faut dire qu’après des longues années face au public, pas mal de médiateurs souhaitent s’orienter vers la formation et l’écriture de projets.
10) Que dirais-tu à un(e) jeune qui veut faire ton métier ?
Quelques mots de conclusion
Comme première chose, je voudrais souligner qu’il s’agit ici de l’expérience de 4 personnes (et de beaucoup de leurs collègues…). Il y a sûrement des médiateurs qui ont vécu des expériences différentes. Si c’est votre cas, écrivez-le dans les commentaires !
Si ça peut sembler un peu décourageant, c’est parce que c’est un métier en devenir. Il me semble que les choses soient en train d’évoluer dernièrement. La naissance des masters en médiation scientifique et de l’école pour la médiation ESTIM (formation continue) devrait assurer, aux jeunes qui démarrent, une carrière un peu plus cadrée et un peu plus de stabilité.
Il reste à espérer qu’il y aura assez de travail pour tous ceux qui souhaitent devenir médiateurs scientifiques. Sinon, il y a d’autres façons de vulgariser les sciences : le journalisme, le blogging, les bandes dessinées, les vidéos, le théâtre, la radio etc.
Pour connaitre les formations initiales à médiation scientifique lire cet article.
Quelques liens utiles
Les pièges de la médiation scientifique
Médiateur scientifique, un pont entre communauté scientifique et société
Formation à la médiation scientifique pour doctorants
http://www.ludmilla.science/fr/mediateurs-animateurs-scientifiques/
Merci beaucoup !
Je ne regrette pas d’avoir attendu ;), l’article et vraiment bien et répond à toutes les questions que je me posais. Cela va vraiment me permettre de bien réfléchir et de mieux envisager les choses.
Je vais le partager, je sais déjà que ça va aider aussi quelques amis 🙂 !
Merci encore pour votre aide ainsi que celle des autres médiateurs qui vous on aidé à créer cet
article très complet.
ça nous fait plaisir, bon courage pour la suite ! Fais nous savoir 😉
Merci pour cet article qui donne beaucoup de pistes pour savoir où et sous quelle forme on peut faire de la médiation scientifique!
Puisque vous citez le journalisme scientifique en fin d’article, voici un lien pour en savoir plus sur ce métier : http://ajspi.com/metier/faq
Merci pour le lien Cécile, en effet c’est très utile ! C’est intéressant…en particulier la partie qui explique la différence entre journalisme et vulgarisation.
Dans la langue italienne il y a encore plus de confusion. Les médiateurs s’appellent « divulgatori scientifici » (vulgarisateurs). On appelle de la même manière les auteurs de livres et les journalistes scientifiques, alors que ce n’est pas le même métier !
De même, les anglo-saxons utilisent le terme de « science writer » indifféremment pour les journalistes scientifiques, les auteurs de livres, voire les communicants (par exemple pour des organismes scientifiques).
Je ne savais pas pour les communicants. Les médiateurs/animateurs scientifiques, par contre, s’appellent science explainers, ça donne un peu plus l’idée.
Bonjour,
désormais il existe également des licences pro pour devenir médiateur scientifique, cepedant plus ciblée sur l’écologie !
Oui ! On peut retrouver ici une liste : http://www.ludmilla.science/fr/quelle-formation-initiale-a-la-mediationcommunication-scientifique/
Bonjour
Il y a plus de 20 ans déjà le concept de mediation entre la société et la communauté scientifique m’animait. J’avais la sensation qu’il fallait rapprocher 2 mondes pour qu’il se comprennent enfin.
J’ai du abandonner la biotech et j’ai finalement construit ma carrière avec cette idée, sans faire de l’animation au sens strict.
Aujourd’hui je travaille à rapprocher les utilisateurs de leur direction informatique, à travers la mise en place de groupe d’utilisateurs experts. Aucun aspect ludique et beaucoup de combats !
Il me semble que c’est également de la médiation scientifique ?
Dans ce cadre je cherche des références pour confirmer mon expérience, voir l’élargir.
Je « deterre » un peu l’article mais suis preneuse de quelques infos.
Merci
Bonjour Clairr, merci pour ton message. Je ne saurais pas dire si ce que tu fais c’est de la médiation scientifique… il faudrait connaitre ton métier. En tout cas c’est de la communication et de la médiation, bon courage pour ton travail !
Bonjour Ludmilla,
me posant moi-même des questions quand à une reconversion dans la médiation scientifique, j’ai trouvé très intéressant cet article de témoignages. En le plaçant dans le contexte de sa date de publication, je me demande si vous aviez des informations sur l’évolution du milieu de la médiation scientifique (marché de l’emploi, reconnaissance du poste) vis-à-vis du développement des nombreuses formations universitaire qui se sont ouvertes entre temps.
Merci par avance pour votre réponse, 🙂
Bonjour Lucile,
désolée d’avoir mis du temps à approuver ton commentaire et à te répondre. Ta question par contre est très complexe. La situation a un peu évolué mais pas beaucoup je crois, il faudrait que j’approfondisse avant de te répondre, mais c’est difficile de répondre à une question si large… continue à me suivre, aussi sur les réseaux sociaux où je suis plus active dernièrement. Merci
bonjour ,
moi je voulais me lancer comme animateur scientifique en auto entrepreneuriat mais j’ai confronté le probleme d’un local pour stoker le materiel et faire mes experiences , c’est pas facile sans un local sauf si on a une chambre de plus a la maison ou un garage .
Bonjour, merci pour ton témoignage. Le stockage de matériel peut, en effet, poser quelques soucis. Moi j’ai la cave pleine de matériel pour les animations ! Par contre je ne m’en sers pas tout le temps. Souvent je me mets d’accord avec le client pour lui faire acheter le matériel ou pour le stocker chez lui. Bon courage et fais-nous savoir !
Bonjour, je ne sais pas si vous êtes toujours active sur ce blog mais je pose quand même ma question. Je suis intéressée par la médiation scientifique pour le côté créatif, la transmission des connaissances et pour les découvertes constantes que l’on peut faire sur plein de sujets. Mais le gros point noir c’est bien le public. Etant très timide, introvertie et mal à l’aise en public (merveilleux cocktail !), je n’ai jamais vraiment aimé les exposés Sauf éventuellement quand il s’agit des étapes de recherche et de création de supports.
Du coup je pensais au format vidéo, au format écrit ou encore à la BD puisque je dessine régulièrement.
Savez-vous s’il y a des structures qui emploient des vulgarisateurs s’occupant uniquement de réaliser de tels formats, sans passer par le public ? Je me doute que ces aspects de la profession s’exercent surtout en freelance ou en complément d’un travail de médiateur/d’animateur, mais ne trouvant pas plus d’infos que ça je préfère demander, au cas où vous auriez plus d’informations. Autrement, savez-vous s’il y a une profession permettant de travailler uniquement sur la partie recherche d’infos, réflexion et conception des supports/des animations etc. de ces expositions et de ces ateliers scientifiques ? En gros tout ce qui concerne les coulisses de ce que le médiateur scientifique va présenter.
A savoir que je suis actuellement en licence 3 de sciences de la vie et que j’hésite justement à me diriger vers une licence pro en médiation scientifique ou vers une licence pro gestion et protection de la nature (pour le côté naturaliste de terrain) ! Voilà, désolée pour le pavé, merci d’avance pour votre réponse.
Bonjour, désolée de la réponse tardive, mais en effet je ne suis plus très active ici, trouvez moi sur les réseaux sociaux