Hasard, chaos, incertitude, probabilité, statistique. Quel est le lien entre ces mots ? Comment les décrypter pour qu’ils nous soient utiles dans le vie de tous les jours ? L’exposition interactive Faites vos jeux ! Quand les maths s’en mêlent, inaugurée le 6 décembre 2016 et visitable jusqu’au 27 août 2017 au Palais de la Découverte de Paris, permet de dévider l’écheveau et de répondre à quelques questions sur le rapport entre le hasard et les mathématiques.
Si les jeux d’argent, également appelés jeux de hasard, et les paris remportent un si grand succès auprès du public, en arrivant jusqu’à engendrer des dépendances pathologiques chez certains joueurs, c’est probablement parce que la chance, le hasard et tout ce qui ne peut pas s’expliquer exercent, depuis les temps anciens, une fascination irrésistible sur l’être humain. Quand un événement est imprévu, imprévisible, inexplicable, est-ce qu’il cache quelque chose de mystérieux ou cela veut simplement dire qu’on ne sait pas l’expliquer ? Ou c’est encore plus complexe que ça ?
Le hasard est un concept qui tend à nous échapper et peut nous faire s’interroger, par opposition, sur les notions philosophiques de sort et de destin. Et si, au contraire, on voyait ce que les sciences (et en particulier les mathématiques) peuvent nous dire du hasard ? Un des objectifs de l’exposition Faites vos jeux !Quand les maths s’en mêlent, en ce moment au Palais de la Découverte de Paris, est de nous aider à construire, dans notre tête, une idée plus concrète et moins irrationnelle du hasard.
Pour ce faire, les concepteurs de l’exposition se sont inspirés du Mathematikum, un musée des mathématiques allemand pionnier dans son genre, et du Musée d’histoire des sciences de la Ville de Genève, en empruntant des jeux et des manipulations et en les réadaptant au style du Palais de la Découverte.
Comment visiter l’exposition ?
Si vous avez plus de 10 ans et très envie de jouer, de manipuler, de découvrir, de vous interroger, les portes de cette exposition sont grand ouvertes pour vous ! Les adultes aussi sont les bienvenus, invités à mesurer leurs connaissances et en acquérir de nouvelles de façon ludique.
La visite se fait librement sans obligation de parcours : on peut se laisser attirer par un jeu après l’autre ou se faire guider par des panneaux explicatifs thématiques. Des îlots regroupent les jeux du même thème : on passe des jeux en bois aux logiciels interactifs pour ordinateur.
Ce n’est pas un hasard si dans l’exposition on trouve, entre autre, plusieurs jeux de dés : le mot aléatoire nous vient du mot latin alea qui signifie dé, et le mot hasard probablement de l’arabe al hazar qui signifie également dé.
Les brefs textes à lire à côté de chaque jeu sont divisés en 2 parties : d’abord les règles du jeu, à lire avant de se lancer, ensuite une brève explication du jeu pour les curieux et pour qui veut aller plus loin.
Pas sûr d’avoir bien compris ? Pas de panique, des médiateurs scientifiques sont présents et disponibles à vous écouter, à rajouter des explications ou à jouer avec vous. De plus, à certains heures précises ils invitent le public dans un espace dédié pour des exposés en lien avec les thèmes de l’exposition.
Voyons maintenant quelques thématiques et quelques jeux que l’on peut trouver dans l’exposition.
La probabilité
Si le hasard rend un phénomène imprévisible, la probabilité nous vient en aide pour nous donner des indications utiles sur les événements aléatoires. Quand on lance une pièce, est-ce qu’on peut prévoir avec certitude si on obtiendra pile ou face ? Certainement pas, mais on peut calculer la probabilité d’obtenir, pas exemple, face.
Le calcul est simple : ça suffit de calculer le nombre de cas favorables (1=face) divisé par le nombre de cas possibles (2=face+pile). Donc on a une probabilité sur deux d’obtenir face. Autre exemple : en lançant un dé à 6 faces, on a une probabilité sur six d’obtenir, disons, le chiffre 3 et trois probabilités sur six (donc une sur deux) d’obtenir un chiffre pair.
Une simple expérience permet de voir comment certains événements aléatoires ont beaucoup plus de probabilité d’autres de se produire, et donc se produisent plus souvent sur le long terme. Si on prends deux dés avec trois faces bleues et trois faces jaunes chacun, et sur un boulier on tient le compte du nombre de combinaisons jaune/jaune, bleu/bleu ou vert (jaune sur un dé, bleu sur l’autre ou vice versa) obtenues, on verra que la combinaison vert arrive deux fois plus souvent que les autres. Le phénomène est aléatoire, mais c’est quand même possible de faire une prévision.
Parfois une mauvaise connaissance des probabilités liées à un événement nous fait croire qu’il est très rare et se produit avec moins de probabilité. Dans le cas du problème du collectionneur de vignettes, par exemple, on voit comment au début d’une collection c’est très facile de trouver des nouvelles vignettes, et ensuite ça devient beaucoup plus difficile. On aura, donc, l’impression que les dernières vignettes sont introuvables, alors que c’est rarement le cas : ce n’est qu’un effet psychologique dû à une interprétation incorrecte du phénomène qui nous induit en erreur. L’explication est, en effet, assez simple : plus on a de vignettes et plus la probabilité de tomber sur un doublon est grande.
De la même façon nous trouvons bizarre que, dans une classe de 30 élèves, deux puissent fêter leur anniversaire le même jour. Ce phénomène contre-intuitif, appelé le paradoxe de l’anniversaire, a pourtant plus de 50% de probabilité de se vérifier et est bien connu des mathématiciens.
La loi des grands nombres
Pour reprendre l’exemple du lancement d’une pièce ou d’un dé, on ne s’attend pas vraiment à obtenir face une fois sur deux en lançant une pièce et, de même, on ne va pas forcement obtenir le chiffre 3 une fois sur six en lançant un dé. Par contre, comme on l’a vu avec les dés jaunes et bleus, après de nombreux essais la fréquence d’apparition du phénomène recherché se rapprochera de sa probabilité. En d’autres mots, plus on fait une expérience, plus on peut prédire les résultats. On appelle ça la loi des grands nombres.
Ce principe est bien illustré par la fameuse planche de Galton. Dans une boîte à forme de triangle se trouve une planche verticale sur laquelle on a planté des clous disposés en quinconce (comme les points noirs du 5 dans un dé). En faisant descendre, une après l’autre, des billes par le haut, celles-ci frappent les clous et à chaque étage peuvent passer aléatoirement à droite ou à gauche.
La position finale de chaque bille dépend du chemin parcouru. Il y a une seule façon, pour une bille, d’arriver dans les positions finales à l’extrémité de gauche ou de droite. Au contraire, différents chemins mènent aux positions plus centrales. On ne peut pas prévoir où ira chaque bille individuellement, mais on peut prévoir, avec la loi des grands nombres, où iront la plupart des billes : la configuration finale du tas des billes est une courbe en cloche, un graphe bien connu appelé courbe de Gauss.
Pour calculer le nombre de chemins possibles dans une planche de Galton, on peut faire appel au triangle de Pascal.
Enfin, si on considère la position des nombres pairs sur la planche de Galton, on verra qu’ils forment un fractale connu, le triangle de Sierpiński.
La loi des grands nombres a des importantes applications : en médecine elle donne des indications sur l’évolution d’une épidémie, alors qu’elle ne peut rien dire sur la guérison d’un malade ; en météorologie elle ne permet pas de prévoir quel temps fera demain mais quel sera le taux de précipitations ou la température moyenne d’une saison.
Le dénombrement
Pour compter le nombre de façons de ranger un jeu de cartes ou combien d’équipes différentes de 11 joueurs on peut composer avec 22 joueurs, on fait appel à une branche des probabilités, le dénombrement. Comme exemple, dans cette section de l’exposition, on trouve les Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau. Le poète avait composé, en 1961, 10 sonnets de 14 vers. Chaque page était divisée en 14 parties. Le lecteur pouvait, ainsi, choisir de commencer avec un vers et continuer avec un deuxième au choix, et ainsi de suite. Les combinaisons possibles sont 10 puissance 14, c’est à dire cent mille milliards.
Mozart, d’ailleurs, proposait un jeu similaire avec des mesures à la place des vers et des chansons à la place des sonnets. En lançant un dé on choisissait les mesures et on composait un morceau de musique unique.
La statistique
En ce qui concerne les statistiques en général et les sondages en particulier, cette section de l’exposition nous met en garde : des pièges peuvent fausser les résultats. Pour compter combien il y a d’étoiles dans le ciel ou combien il y a d’animaux dans la savane, on prend un échantillon et on extrait des informations sur la totalité du phénomène à compter. Selon le choix de l’échantillon et sa taille, on peut obtenir des résultats assez différents. Dans ce cas aussi il faut utiliser la loi des grands nombres pour s’approcher au maximum aux données réelles. On pourra mieux se rendre compte de l’importance du choix de l’échantillon en jouant avec certains jeux présents dans l’expo.
La théorie du chaos
Dans certains cas, comme le lancement d’une pièce, d’un dé ou la trajectoire d’une bille dans le jeu du flipper, ce n’est vraiment pas le hasard qui dirige les résultats. Ces derniers sont déterminés par des lois physiques, en théorie explicables mais tellement complexes qu’on ne sait pas les calculer. La forte dépendance aux conditions initiales rend ces jeux imprévisibles et chaotiques : on les considère comme des événements hasardeux.
Les mathématiques cherchent toujours à mieux connaître les propriétés du hasard pour pouvoir étudier des phénomènes naturels qui en ont les mêmes propriétés, par exemple la météo ou le déplacement d’une molécule dans l’espace (mouvement brownien).
En outre, le caractère aléatoire de certains éléments crée de la confusion utile dans plusieurs domaines, comme la cryptographie et les messages secrets.
Vous avez encore des doutes et des questions sur le hasard ? Bien ! Une raison de plus pour visiter cette exposition qui n’a pas le but de nous apprendre des notions « prêtes à utiliser », mais de nous faire remuer les méninges tout en nous amusant.
Cet article est paru dans le numéro 189 de janvier 2017 de Cosinus, je journal de mathématique et sciences pour jeunes, Editions Faton.
Fort intéressant ! Néanmoins je n’ai pas lu. Bisous